Emilie Cappon : "Dans les procédures difficiles, un divorce peut durer de nombreuses années"

24 janvier 2025

La juge Emilie Cappon et le notaire Jérôme Otte nous expliquent le déroulement d'une procédure de divorce pour désunion irrémédiable.

Un des préjugés qui circule parfois, c'est : « je ne peux pas divorcer parce que mon mari ou mon épouse ne veut pas ». Et pourtant, c’est faux, parce que lorsqu'un couple n'est pas d'accord pour divorcer, il est possible de recourir à la procédure de divorce pour désunion irrémédiable. Décryptage de cette procédure avec Émilie Capon, juge au tribunal de la famille à Bruxelles.

On sait qu'il existe le divorce par consentement mutuel quand on s'entend bien, et donc ça évidemment, c’est la solution la plus facile. Mais quand on ne s'entend pas, il existe le divorce pour désunion irrémédiable.

Tout à fait, c'est un divorce que le juge va constater lorsqu’on sait qu'il n'y a plus de retour en arrière possible. Les époux ne vont plus se remettre ensemble. Et comment est-ce qu'on vérifie cela ? En fait, il y a trois critères.

  • Soit les deux époux sont d’accord pour divorcer et à ce moment-là, je dois vérifier qu'il y a 6 mois de séparation. Si le délai est trop faible, je peux refixer une audience plus tard, une fois le délai de 6 mois passé.
  • S'il y en a qu'un des deux qui veut divorcer, alors je dois vérifier que les époux sont séparés depuis au moins 1 an.

Si on n'a pas de délai de séparation de 6 mois ou d'1 an, soit je reporte le traitement de la demande en divorce, soit on m'apporte la preuve que ce n'est pas possible avec ce qui s'est passé ou avec la manière dont les choses se passent. Je pense notamment aux dossiers de violence conjugale. Madame m'apporte la preuve que Monsieur a été condamné pour des violences à son égard, je ne vais pas laisser le divorce attendre encore 1 an si monsieur n'est pas d'accord de divorcer. Là, je peux prononcer le divorce si je constate la désunion irrémédiable. 

Comment est-ce qu'on initie la procédure quand on ne s'entend pas et qu'on veut divorcer ?

On peut déposer une requête au tribunal de la famille ou lancer une citation par huissier pour avoir une audience. La différence ? Il faut attendre entre 15 jours et 1 mois après le dépôt de la requête pour obtenir une 1ère audience au tribunal. Avec une citation, c'est plus rapide. Il faut compter 8 jours entre le moment où l'huissier va déposer la citation et la 1ère audience. Mais c’est plus couteux : il faut compter entre 400 et 500 euros de frais de citation. Le choix dépend donc de l'urgence et des moyens financiers de la partie qui souhaite divorcer.

Quand l'entente est sérieusement perturbée, est-il possible de prendre certaines mesures urgentes ?

Un tribunal fonctionne à la demande. Donc si on me demande uniquement le divorce, je vais me pencher uniquement sur la demande en divorce. Mais on me demande souvent dans la même requête ou dans la même citation de régler aussi tout ce qu'on appelle les « mesures réputées urgentes ». Cela concerne l'organisation des résidences séparées entre les époux, la garde des enfants, la contribution alimentaire, etc.

On est censé aller vite, mais avec le respect d'une procédure qui permet à chacun d'échanger son point de vue. À la première audience, on fait un peu le tri de ce qui est urgentissime, de ce qui est un peu moins urgent.

On peut aussi saisir le tribunal en urgence invoquée. Là, c'est vraiment l'urgence urgentissime. Dans ce cas, on peut avoir une audience 2 jours après la citation. Et à cette audience-là, si on nous démontre qu'il y a une urgence criante, on peut prendre une décision, parfois le jour même.

Toutes les décisions sont définitives ?

Pas nécessairement. Les séparations, c'est très évolutif. Je vais prendre un exemple : des époux arrivent devant moi, ils vivent encore ensemble. Celui contre qui on lance la procédure ne s'y attendait pas. Mon rôle est d’abord de prendre la température. Je peux ensuite mettre en place un cadre provisoire : le temps que l’un deux trouve un nouveau logement, on peut prévoir quelque chose pour les enfants. Par la suite, la situation pourra être aménagée avant de prendre une décision « définitive ».

Je dis « définitif » mais en réalité, le tribunal de la famille peut être saisi jusqu'aux 18 ans des enfants et au-delà pour tout ce qui concerne le financier, la prise en charge des études et des frais des enfants. Les parties peuvent donc revenir au tribunal pour faire modifier un jugement s’il y a quelque chose de nouveau. Et ça, c’est très propre à la désunion irrémédiable.

Il n'y a pas un moment où le notaire peut prendre le relais ?

Dans le cadre d’un divorce pour désunion irrémédiable, on va parler du notaire quand les époux nous demandent d'ordonner la liquidation de leur régime matrimonial. Quand les époux ont un patrimoine à partager, mais qu’ils ne sont pas d'accord sur la manière, je vais désigner un notaire pour gérer le volet patrimonial.

La loi prévoit une procédure bien particulière avec des délais spécifiques pour éviter qu’une partie fasse trainer la procédure indéfiniment.

En pratique, la 1ère réunion avec le notaire sert souvent à faire le point sur la situation : là où il y a déjà des accords, on va les acter. On voit ensuite les points de désaccord. L’objectif, à ce moment-là, est de chiffrer ces désaccords. Pour discuter, pour faire une transaction, il faut discuter chiffres.

Une fois que chacun ait pu présenter ses arguments, on fixe un calendrier avec les avocats (éventuellement). Soit les parties valident la décision du notaire (prise sur base des avis de chacun et des preuves), soit elles s’y opposent et on parle alors de « contredit ». Le notaire peut encore modifier sa décision ou l’envoyer au juge pour trancher. C’est alors reparti pour un tour devant le tribunal : on va éventuellement encore échanger des conclusions avec ou sans avocat, fixer une audience pour plaider et rendre un jugement qui valide intégralement les décisions du notaire ou qui renvoie le dossier chez le notaire. Ce jeu de ping-pong peut arriver une ou deux fois en cours de procédure, et à un moment donné, c'est clôturé.

Cette procédure a l'air de prendre quand même un certain temps. On peut parler de quel timing ?

Quand on est vraiment dans une procédure contentieuse où les époux ne s'entendent plus du tout, où le travail du notaire est contesté, disons entre 6 et 9 mois. Cela va dépendre s'il y a des inventaires. Et alors, en fonction des disponibilités du tribunal, entre 9 mois et 2 ans pour avoir une audience de plaidoirie au tribunal de première instance à Bruxelles. Ailleurs, ce n’est pas nécessairement le cas, ça va parfois un peu plus vite. Et puis, il faut savoir que les gens peuvent aller en appel de mon jugement. Donc, à ce moment-là, le dossier part à la cour d'appel. Et là, c'est à nouveau pour quelques années d'attente avant d'avoir une décision. Donc les procédures difficiles où les gens ne s'entendent pas du tout, ça peut durer de nombreuses années…

Qu’en est-il au niveau des décisions relatives aux enfants (autorité parentale, hébergement, contribution, etc.) ? Comment ces questions sont-elles traitées ? Comment minimiser l’impact de ces décisions sur les enfants ?

Le guideline du juge, c'est vraiment l'intérêt de l'enfant. Dans tous les dossiers qui concernent les enfants mineurs, le parquet va rendre un avis. Lorsqu’il y a eu des plaintes déposées à la police pour maltraitance ou violences, lorsqu’il y a eu des condamnations des parents pour ivresse au volant ou prise de stupéfiants, le parquet demandera à être présent à l’audience. Ces informations sont importantes pour décider des modalités d'hébergement de l'enfant.

Il est aussi possible d’entendre les enfants. Tous les enfants qui ont plus de 12 ans reçoivent d'office, dès l’introduction d’un dossier, un courrier du tribunal, dans lequel on leur explique la procédure. Les enfants doivent cocher « Je souhaite parler au juge » ou « Je ne souhaite pas parler au juge ». Beaucoup d'enfants répondent positivement à cette demande. En tant que juge, ça me permet aussi d’avoir une autre vue sur la situation. Si un enfant me dit qu’il se sent un peu moins confortable chez papa ou chez maman pour telle et telle raison, on peut en tenir compte.

Je peux également désigner un expert psychologue, mais la procédure sera alors bien plus longue. Il va recevoir les enfants et les parents et rendre un rapport au juge sur base de ses observations.

Ça coûte cher de divorcer ?

C'est une question à laquelle je peux difficilement vous répondre. Il y a un droit de mise au rôle de 165 euros qui est l'inscription du dossier au tribunal. Il y a les frais d'huissier en cas de citation. Les audiences, elles, sont gratuites. Si vous faites appel à un avocat, il faudra évidemment payer ses honoraires. Dans certaines situations, il est possible de bénéficier d’un avocat rétribué par le bureau d'aide juridique.

À mon sens, la procédure judiciaire versus un processus de conciliation reste à mon sens plus cher, parce que c'est plus aléatoire. C'est-à-dire qu'on sait ce qu'on demande quand on va au tribunal, mais on ne sait pas ce que l'autre en face va vouloir demander. Est-ce que l'autre aura envie de me faire la guerre pendant des lustres en formulant des demandes et des demandes de tous les côtés auxquelles je vais devoir répondre ? Cela va prendre du temps et coûter de l'argent si un avocat doit être là.

D’ailleurs, j'ai l'obligation, à la première audience, de proposer des modes alternatifs de conflits. Au tribunal de la famille, on a une chambre spéciale de conciliation qui permet parfois de faire avancer des situations contentieuses. Il y a la médiation aussi, qui est faite soit par des avocats, soit par des notaires. Le médiateur a vraiment un rôle non pas de prendre une décision, mais d'amener les parties à prendre une décision ensemble.

À n'importe quel moment de la procédure, les parties peuvent déposer un accord, même si ce n'est pas un accord sur tout. Le dossier peut être morcelé, ça permet d'avancer plus vite. Avec le désavantage par rapport à une médiation chez un notaire ou une conciliation, c'est que moi, je suis limitée par ce que les parties me demandent. Je ne peux pas inventer des demandes. Par exemple, si Madame ou Monsieur ne me demande pas de pension alimentaire, je ne pourrai pas lui dire : « Vous avez beaucoup moins de revenus, vous devriez faire la demande pour une pension alimentaire ».

Là où par contre, dans une médiation, les parties peuvent tout mettre sur la table. Moi, à l'audience, je n’ai pas nécessairement le temps pour creuser l’émotionnel. Parce qu’on a un nombre de dossiers importants à traiter par audience et qu'on est pris par le temps.

Émilie, que dirais-tu aux gens qui veulent se lancer dans une procédure de divorce pour désunion irrémédiable ?

D’expérience, je dirais que c'est important que les gens aient réfléchi avant d'introduire la procédure à ce qu'ils veulent. Pour les enfants, pour l'argent, pour celui qui va rester dans la maison, pour celui qui va continuer à utiliser la voiture, etc.

C'est important de bien formuler ses demandes. C'est aussi important d'avoir pu être éclairé sur certains aspects. S’il y a un bien immobilier par exemple : serez-vous en mesure de le racheter ? Est-ce que je pourrais avoir un prêt à la banque ? Anticipez !

C'est aussi important de pouvoir objectiver vos demandes avec des preuves. Si Madame arrive à l'audience en disant « Mes enfants ne vont pas bien, ils ne peuvent pas aller beaucoup chez leur papa », je ne peux pas juste la croire sur parole. J’aurai besoin d’attestations d’école, des bulletins scolaires...

Préparez votre dossier avec tous les documents nécessaires : les dernières fiches de salaire, les dernières déclarations d'impôt, le montant des allocations familiales et éventuellement les besoins spécifiques de certains enfants. Ces informations permettront de calculer le montant de la contribution alimentaire par exemple.

On peut toujours aller voir son notaire en lui disant « Je m'apprête à lancer une procédure en divorce, conseillez-moi. » Je pense que la préparation du dossier, c'est important à la fois pour que la procédure avance, et à la fois pour comprendre aussi vers où on va et ce qu'on veut demander au tribunal. 

Le notaire Jérôme Otte et la juge Emilie Cappon décryptent la procédure de divorce pour désunion irrémédiable dans notre podcast Notaires&CO sur Spotify.

Source: Fednot