Pierre Bonfond : "Un pacte d'actionnaire, c'est un peu comme un contrat de mariage. On le réalise quand tout va bien, en âme et conscience."

27 décembre 2024

L'entrepreneur Pierre Bonfond et le notaire David Remy nous partagent leurs conseils pour reprendre une entreprise familiale en toute sérénité.

Aujourd'hui, nous allons aborder un sujet qui mêle professionnel, familial et sujet personnel, puisqu'on va parler de la reprise d'une entreprise familiale. Nous avons posé toutes nos questions à Pierre Bonfond et au notaire David Remy.

Pierre, la société TRTC Bonfond, c’est une histoire de famille. Peux-tu nous raconter ?

Tout à fait. Mon grand-père a démarré en 1960 l'entreprise avec son frère, avec une pelle et une pioche. 20 ans plus tard, c'est mon papa et ses trois frères qui ont repris l'entreprise. C’est en janvier 2020 que mon cousin et moi avons racheté les parts.

Pour moi, tout s’est joué en janvier 2018. J’étais dans l'entreprise depuis un an ou deux ans, mais je ne savais pas exactement vers quoi me diriger. J’ai finalement dû remplacer au pied levé un collaborateur tombé malade. Et c’est en travaillant avec mon cousin qu’on s’est rendu compte qu’on avait beaucoup d'affinités, une même vision des choses, les mêmes valeurs.

Un an plus tard, on a tenu une petite réunion familiale et on a dit qu'on souhaitait trouver une solution pour reprendre l'entreprise. Ça a pris 9 mois, ça a été assez rapide.

Comment est-ce que vous avez géré toute la charge émotionnelle de cette reprise ?

Ce n’était pas simple. Il y a l'émotionnel du fait de reprendre une entreprise. Il y a la pression qu'on se met à soi-même en se disant : « il faut que ça tourne, une centaine de familles dépendent de ce travail ». Il y a aussi la pression financière puisqu’il faut payer la banque, il faut payer le rachat, tout en faisant tourner l'entreprise, payer les salaires, payer les investissements.

Il fallait aussi gérer la relation père-fils. J’ai repris le rôle de mon papa dans l’entreprise, mais je voulais absolument imposer ma vision des choses. Au tout début, c'était plutôt une relation d'égo à égo. Quatre ans plus tard, je peux dire que j'ai eu tort, mais sur le moment, on ne se rend pas compte qu'il faut faire un peu la part des choses.

Et à l'inverse, cela faisait une cinquantaine d'années que mon papa fonctionnait comme ça. C’était aussi difficile pour lui d'accepter que quelqu'un d'autre prenne des décisions à sa place, prenne des décisions parfois à l'encontre de ce que lui aurait fait. C'est un aspect hyper important qu'on sous-estime, je pense, dans une reprise.

Il y a aussi le personnel autour, voir comment il va s'adapter et réagir face au changement.

À tout cela s’ajoute le contexte global, puisqu'on a signé le 24 janvier 2020 et un mois et demi plus tard est arrivé le Covid. En plus des confinements, on a connu aussi les inondations, les crises énergétiques, les augmentations des coûts salariaux et des matériaux.

Donc il a fallu composer avec tout ça. Une reprise familiale, ce n’est déjà pas simple, mais ajouter à tous ces éléments-là, ça crée des défis.

David, en tant que notaire, comment accompagnes-tu les gens dans cette transition pour éviter les conflits ?

Le rôle du notaire, c'est d'abord de comprendre les besoins de chacun et de pouvoir ensuite les intégrer au sein d'une convention. Il ne faut pas enlever la charge émotionnelle. On doit justement l'assimiler et la comprendre.

Maintenant, il y a plein de cas de figure différents. Notre rôle, c'est d'essayer de mettre autour de la table toutes les personnes qui peuvent accompagner ce changement : un comptable, un réviseur, des membres de la famille qui connaissent votre tempérament. Le but, c'est d'essayer que l'organisation de la société soit fluide et que chacun trouve sa place.

D'où la nécessité aussi d'adapter les statuts de l'entreprise aux besoins de chacun. Quand vous reprenez, par exemple, à deux cousins. Est-ce que vous vous faites tout de suite entièrement confiance au niveau financier ? Peut-être que dans un premier temps, on doit prévoir qu'il faut une double signature pour certains engagements. Cinq ou dix ans après, ce ne sera peut-être plus nécessaire, mais au début, ça peut être utile d'avoir ces garde-fous entre associés. Le notaire peut vous conseiller.

Est-ce qu'il y a d'autres garde-fous juridiques auxquels tu penses quand on fait une transmission ?

Il y a toute une série d'outils que nous avons à disposition. On a la rédaction des statuts de la société, on a la rédaction d'un acte de donation, mais on a aussi parfois des petits instruments qui sont des pactes familiaux, voire même des conventions d'actionnaires ou même des règlements d'ordre intérieur au sein des conseils d'administration.

On a aussi ce qu'on appelle des sociétés simples. Ce sont des conventions entre personnes qui mettent en commun des biens. Ça peut être des actions de société, des rôles dans certaines administrations ou des gestions d'entreprise. Cette organisation est vraiment importante : elle doit être fluide et équilibrée. Exemple : que se passe-t-il si un des deux associés souhaite lever le pied et ne travailler que 4 jours par semaine ? Que fait-on financièrement ? Comment est-ce qu'on va se répartir le cash-flow que l'on aura dégagé ? Ça, ce sont des règles que l'on peut effectivement mettre en place.

Pierre : « Nous, on a effectivement fait un pacte d'actionnaire. C'est un peu comme un contrat de mariage. Et ce qui est, je trouve, le plus intéressant, c'est qu'on le réalise quand tout va bien. Donc, on le fait en âme et conscience. On a abordé tous les sujets potentiels comme une dispute. Pas une petite dispute, une dispute qui pourrait mener à... Est-ce qu'un des deux associés souhaite arrêter ? Et si l’un de nous est en incapacité physique de plusieurs semaines ou de plusieurs années ? Donc voilà, tout ça, ça a été discuté, ça a été mis sur papier. Alors ce n'est pas parce que c'est figé à l'instant T que ça ne peut pas être adapté ou qu'on ne peut pas y déroger, évidemment. Mais au moins, on a abordé tous les sujets au moment où ça se passe bien et je trouve que ça, c'est primordial. Ça nous permet de travailler serein et de se concentrer à 100% sur le travail. »

David : « Je viens de le faire effectivement avec deux personnes qui avaient repris l'entreprise il y a sept ans et aujourd'hui, ils se sont dit mais tiens, voilà, si moi, il m'arrive quelque chose, eh bien, j'ai tellement confiance en toi que je veux que ce soit toi qui gères mes parts de l'entreprise et pas forcément mon épouse ou mes enfants, même si je les aime, mais je veux que ce soit toi qui, connaissant l'entreprise, gère cela pour moi". Et donc on vient de faire un mandat extrajudiciaire, c'est-à-dire un contrat qui permet à une personne de représenter l'autre si elle n'a plus sa tête. En cas d'accident ou de maladie, on peut toujours faire tourner la société comme tu l'aurais fait. Ce sont des instruments qui peuvent permettre de fluidifier les choses et d'être beaucoup plus serein dans le cas de la gestion de son entreprise.

Pierre, comment avez-vous déterminé vos rôles et vos responsabilités ?

Ça a été simple. À l'époque, j'avais 28 ans, mon cousin 40, mais il avait 20 ans d'expérience en chantier, et moi 2. Je pense que les comptes ont été vite faits. L'aspect de gestion de chantier, c'était pour lui. Et moi, ça faisait peut-être 10 ou 15 ans que j'accompagnais mon papa à des événements, à des rencontres avec des clients et des fournisseurs. Et donc, j'avais un peu cette fibre-là. La répartition des responsabilités a été assez simple. Je gère le suivi de préparation de chantier, les commandes, la partie commerciale. C'est mon cousin qui prend le relais avec les différents gestionnaires. Et pour la partie financière, on la traite à deux, on l'analyse à deux. On a mis en place un programme de gestion pour avoir un aperçu chantier par chantier.

Je tiens à préciser qu'on a repris une entreprise extrêmement saine. Et si on en est là aujourd'hui, c'est aussi grâce à nos papas qui ont travaillé d'arrache-pied toute leur vie. Donc, on a repris une entreprise qui était presque au top et on essaye de l'amener au top en travaillant au maximum.

Je pense que notre grand-père doit être fier, tout comme le sont nos papas et tontons. Ce serait sympa si dans quelques années, il y avait encore une continuité.

David, qu'est-ce qu'on met en place pour transmettre en douceur ?

Je ne suis pas certain qu'il y ait vraiment des formules miracles pour transmettre en douceur. Par contre, effectivement, un bon dialogue autour de la table, savoir ce que l'on fait, avoir la franchise des chiffres, ça, c'est malheureusement beaucoup trop rare dans les transmissions d'entreprise. On demande à ses enfants de venir, mais on ne sait soi-même pas souvent comment est-ce que ça fonctionne. Qu'est-ce qu'on gagne vraiment ? Quelles sont les charges ? Il ne faut donc pas hésiter à mettre en place un programme de gestion pour avoir un vrai monitoring de son entreprise.

Pierre, quel a été le rôle du notaire dans votre transmission ?

Je dirais qu’il a joué un rôle important pour nous surtout au niveau de la rédaction du pacte d'actionnaire. Pour moi, le pacte d'actionnaire, c’était deux ou trois pages qui dit, voilà, on fait comme ça, et comme ça. Le nôtre en fait 24. C’est bien la preuve qu'il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'éléments et d'aspects auxquels on ne pense pas du tout.

J’ai un notaire depuis des années et je ne voudrais absolument aucun autre, c'est vraiment une personne de confiance. Je l'appelle et je lui parle de plein de sujets, et il me conseillera toujours. Je lui dis parfois qu’il exagère parce qu’il verra toujours le pire, mais si tout est préparé à l'avance, pour moi, il n'y a pas de risque. Et voilà, je tiens vivement à remercier mon notaire parce qu’il nous a beaucoup aidé pour en être là aujourd'hui.

David, le mot de la fin ?

Discuter. Discuter de ses besoins et de ce que l'on souhaite. Et se faire entourer par un maximum de professionnels : un comptable, un notaire, un fiscaliste, un médiateur familial,... L'écoute et la préparation sont essentiels.

Retrouvez les précieux conseils pour naviguer sereinement dans le processus de transmission d'entreprise de Pierre Bonfond et du notaire David Remy dans notre podcast Notaires&CO sur Spotify.

Source: Fednot