Les plus de 65 ans divorcent de plus en plus : « Il n’est pas nécessaire de divorcer, il existe d’autres options »
15 août 2023
Que ferez-vous lors de la retraite ? Partir enfin à la découverte du monde ? Vous lancer dans le bénévolat ? Ou regarder tout ce qui passe à la télévision ? Dans un couple, chacun(e) a souvent des idées différentes sur la manière d’occuper sa vie après le travail. Le médiateur en matière de divorce Eric De Corte (73) constate que cela conduit, ces dernières années, à des divorces de plus en plus fréquents chez les plus de 65 ans. « Les gens pâlissent devant la réalité de la démarche », dit-il.
Sa femme était connue pour être à l’écoute. Quelqu’un à qui les gens pouvaient confier leurs problèmes, petits ou grands. Lorsqu’elle est décédée en 2007, Eric a décidé de changer de vie. Il a abandonné son poste de direction dans une entreprise du secteur de l’énergie, obtenu un diplôme de troisième cycle en médiation familiale, civile et commerciale et s’est lancé dans la médiation en tant qu’indépendant. Comme une ode à Lea. « Cela peut paraître étrange mais, au vu de ce qu’elle représentait pour d’autres, j’ai ressenti un vrai déclic. Un gros salaire n’a plus d’importance à mes yeux. Je veux rassembler les gens et le savourer tous les jours. La vie est bien trop courte pour la compliquer. »
AVC et sexualité
Eric est spécialisé dans le divorce des personnes âgées. Dans son cabinet, de plus en plus de couples retraités frappent à sa porte de médiateur. Quels sont les principaux éléments déclencheurs ?
« La retraite renvoie les couples face à face. Alors qu’ils travaillaient, ils se retrouvent ensemble toute la journée. En fait, la retraite elle-même n’est pas souvent le point de rupture, il s’agit plutôt de l’occupation du temps libre et des différentes conceptions de la vie. Que se passe-t-il souvent ? L’un des deux se dit : « Et maintenant, pour une fois, je vais faire ce que je n’ai jamais eu le temps de faire ». Moi, moi, moi. Ce faisant, ils ignorent souvent ce que l’autre désire. Les gens ont une certaine attente de la période post-retraite, qu’ils n’expriment souvent que le moment venu.
Un autre fait important est le syndrome du nid vide, à savoir certaines femmes qui se retrouvent désoeuvrées une fois que les enfants ont quitté la maison. Elles sont alors sollicitées à plein temps par leur relation avec leur partenaire, trouvent que c’en est trop et prennent la décision de partir. Ou alors, elles y songent depuis un certain temps et attendent.
Il arrive que des personnes découvrent soudain qu’elles n’ont pas grand-chose en commun, je me demande alors comment ils ont pu tenir quarante ans. Certains se sont perdus en cours de route, ne se sentant plus émotionnellement liés l’un à l’autre. Ils se disent qu’ils ne veulent pas passer les années restantes de leur vie dans une relation qui ne fonctionne pas. Il faut également prendre en compte les inconvénients, les tracas et les maladies que l’âge entraîne. Être un aidant pendant des années auprès d’un être cher peut devenir trop lourd. Ce sont des cas difficiles car le monde extérieur est très prompt à porter des jugements. En outre, la maladie peut aussi changer les gens. Récemment, une femme a déclaré dans mon bureau qu’elle ne reconnaissait plus son mari depuis qu’il avait été victime d’un accident vasculaire cérébral. Il avait changé du tout au tout, réagissait de manière agressive. Elle ne désirait plus rester auprès de lui.
La sexualité est aussi un élément qui évolue avec l’âge. De quoi donner lieu à de sérieuses discussions. Beaucoup de gens disent « nous ne nous disputons pas, nous nous entendons bien mais nous nous sentons comme frère et sœur. Et nous sommes trop jeunes pour que cela continue. »
Quant à l’amour, eh bien... Il y aura toujours des gens qui recherchent là où l’herbe semble plus verte, un ou une partenaire plus jeune. Ma première femme, Lea, a exprimé son sentiment de la manière suivante : « Tu ne peux pas toujours être amoureux de moi mais tu peux toujours m’aimer ». Telles sont les principales motivations. Mais j’imagine qu’il y en a d’autres. »
Le divorce, une facilité
Dans le passé, ces questions se posaient également mais les divorces étaient moins nombreux. « Depuis une modification de la loi en 2007, il est beaucoup plus facile de divorcer. Une donnée qui entre en ligne de compte. Si vous réglez votre séparation par consentement mutuel, vous n’avez même plus besoin d’aller au tribunal. On assiste à un changement de culture. De nombreuses femmes sont aujourd’hui plus indépendantes financièrement. Et les personnes plus âgées observent les jeunes, qui franchissent le pas beaucoup plus rapidement. « Ma fille a le courage de partir, et moi je reste là à me débattre. J’en ai assez moi aussi ». Je ne dis pas que la jeunesse incite à sauter le pas mais elle fait réfléchir. »
Les affres de la solitude
Les conséquences d’un divorce ne sont pas anodines et prennent, plus tard, une tout autre dimension. « Tout ce que les gens ont construit ensemble pendant des années, ils doivent soudain le diviser. Une démarche compliquée et difficile émotionnellement. Pas seulement la maison, mais aussi l’épargne, les investissements, les pensions, les assurances collectives et les assurances vie... Sans compter les associations ! Peu de gens savent que s’ils ont créé une entreprise pendant leur mariage, celle-ci tombe dans le patrimoine matrimonial. Du moins, si l’investissement n’a pas été fait avec leurs fonds propres. Je vois des gens blêmir. Le testament entre également en ligne de compte. Parfois, des personnes établissent leurs comptes après 20 ans de mariage. Impossible d’y échapper. Et les conséquences ne sont pas seulement financières. Ceux qui divorcent jeunes ont plus de facilité à trouver un(e) nouveau ou nouvelle partenaire et retrouver le bonheur. À plus de septante ans, les opportunités ne sont plus aussi nombreuses. Il en va de même pour (une partie de) votre cercle d’amis habituel : ils prennent souvent parti. Et si c’est celui de votre ex....
Divorcer à un âge avancé est beaucoup plus préjudiciable quant à la confiance en soi. La solitude guette. Si vous n’êtes pas ouvert, sociable ou ne faites pas partie d’un groupe, il est difficile d’en sortir. Les gens sont souvent habités par un sentiment de vengeance, de colère qu’ils ne parviennent pas à exprimer. Vous ne perdez pas seulement votre conjoint mais aussi un amant ou une maîtresse, votre meilleur(e) ami(e), votre soutien, votre refuge, votre béquille... Si cela vous arrive, le constat est terrible. »
Un mot clé : communiquer
Parfois, le divorce s’avère évident. Mais s’il trouve la moindre lueur d’espoir, Eric aime envisager d’autres options.
« Nous ne sommes pas des thérapeutes, nous nous concentrons sur la médiation pratique en vue d’une réparation des relations. Nous examinons la situation actuelle et les projets d’avenir. Ensuite, nous nous penchons sur la relation. Qu’est-ce qui l’anime encore ? Qu’y trouvez-vous de positif ? Qu’en retirez-vous ? Mais surtout le plus important : qu’est-ce qui, selon vous, pourrait être amélioré ? Vous ne pouvez pas tout aborder en même temps mais choisir les points les plus importants sur lesquels travailler. C’est à ce moment-là qu’il est possible de réoxygéner la relation. Si vous utilisez l’énergie que vous mettez dans une séparation pour réparer la relation, il n’est pas toujours nécessaire d’en arriver au divorce. Je dis toujours qu’un changement n’est pas toujours une amélioration, mais qu’une amélioration est certainement le résultat d’un changement. Très souvent, tout se résume à la communication, le mot-clé. Si elle ne s’établit pas, ou mal, elle s’interrompt. Il arrive que nous rédigions un document pour consigner les nouveaux accords entre les partenaires. Il peut s’agir d’un
« plan » très concret ou de la retranscription d’une conversation. »
Plus que des histoires
En-dehors des heures de travail, Eric écrit un livre sur le divorce à un âge avancé, qui fera office d’ouvrage de référence.
« Avec des histoires de personnes issues de mon expérience et l’analyse nécessaire afin d’aider les autres. Notamment en délivrant le message suivant : vous ne devez pas nécessairement divorcer, il existe d’autres options. Je travaille avec un thérapeute, un avocat, un notaire et un professeur afin que l’ouvrage soit parfaitement à jour, avec des chiffres actualisés. Ce doit être un véritable ouvrage documenté, pas une simple affaire sentimentale. »
Je ne m’attendais pas à ce que cela m’arrive
Vous aurez remarqué qu’Eric est âgé de 73 ans et fait donc partie du « public cible » de cet article. Quelle est aujourd’hui sa situation ?
« Je me suis remarié avec Annemie il y a 12 ans. Ensemble, nous avons six enfants et huit petits-enfants. Avec ma première femme, j’ai eu trois enfants, dont Jeroen, décédé à l’âge de six ans. Quant à Lea, elle est décédée en 2007. Je me considère chanceux d’avoir rencontré Annemie. Je ne m’attendais pas à ce que cela m’arrive à nouveau. Et nous n’avons pas l’intention de divorcer, alors... je suis un homme heureux. »
Source: Fednot