Interview avec Tanguy Dumortier : « Le monde du vivant n’a pas de frontières. »

25 juillet 2023

Il a redynamisé l’émission-culte « Le Jardin Extraordinaire », a créé une communauté de photographes amateurs passionnés par nos sous-bois, parcourt le monde six mois par an et retrouve son cocon du Brabant wallon avec délectation. Tanguy Dumortier est une bonne nature.

Tanguy Dumortier sur le site de l’Abbaye de Villers-la-Ville, là où se tient l’exposition « Notre Jardin Extraordinaire »

Nous avons rendez-vous sur le superbe site de l’Abbaye de Villers-la-Ville, là où se tient l’exposition « Notre Jardin Extraordinaire », un choix de photos parmi les centaines de clichés émanant d’une communauté qui s’étend. La nature sauvage n’éblouit pas seulement à l’autre bout de la Terre, mais aussi dans nos jardins. Tanguy Dumortier en a fait plus qu’une passion, un cheminement de vie où l’émerveillement fait loi.

Croyez-vous être né pour consacrer votre existence à la nature ?

Je ne crois pas à la vocation ni au destin. Mais peut-être étais-je un reporter dans l’âme. Je me suis toujours intéressé aux animaux, je ne vois pas ce que je ferais d’autre. J’ai ramené récemment de chez mes parents, un journal confectionné quand j’avais huit ans et qui traitait déjà des loups. J’ai eu la chance de trouver l’endroit qui me convient parfaitement.

L’inactivité vous fait-elle peur ?

Au contraire, j’adorerais être plus inactif par moments. Je suis plutôt un contemplatif, j’aime prendre le temps d’observer et de m’imprégner des choses, la seule façon de vraiment apercevoir la faune sauvage. Ce qui m’anime, c’est de chercher le lieu idéal où poser ma caméra afin de filmer l’animal, le côté un peu sportif de mon activité. J’ai affaire à des acteurs qui n’obéissent à rien ! Nous avons passé l’année dernière 80 jours dans un affût en Finlande pour observer des loups et je le referais tout de suite.

Profession

Quel a été le déclic ?

J’ai eu la chance de prendre une pause-carrière, je travaillais au JT de la RTBF, avec juste de quoi vivre et payer mes charges d’indépendant. J’ai toujours aimé m’échapper et je suis parti entre le Rwanda et le Congo pour m’y établir durant quelques années. Des portes se sont ouvertes, j’ai pu travailler avec un collègue sur des documentaires en Afrique centrale. Malgré de tout petits moyens, les films ont été vendus au National Geographic avec une diffusion dans cent pays. Et j’avais du temps pour les réaliser, un véritable luxe dans la vie. Aujourd’hui, j’affronte les petites contraintes du temps par rapport à mes occupations, mais elles sont faibles par rapport à tous les avantages de ma vie professionnelle. Nous rentrons de cinq semaines de voyage en Antarctique, dont trois de tournage. J’ai conscience de la chance, inédite désormais en TV, d’avoir encore ce type de liberté sur la durée. Passer plusieurs jours à observer les manchots est un privilège énorme, mais donnez-moi encore plus de temps et j’y passe des mois !

Quelle a été votre réaction en reprenant « Le Jardin Extraordinaire », émission-phare de la RTBF ?

L’émission avait énormément de qualités, mais fabriquait très peu de sujets propres. J’avais l’envie de contenu qui n’était pas issu de grandes plateformes comme Amazon ou Netflix, de parler aussi de faune locale et d’avoir un catalogue de films réalisés par nous-mêmes. Je ne suis pas un aventurier, qui part avant tout pour lui, mais un reporter qui désire montrer, partager avec le public. Sinon je ne prendrais pas de caméra, j’en ai parfois marre de trimballer 20 kg de matériel. J’ai filmé du Pôle Nord au Pôle Sud, du Guatemala au Japon. Mais quand les gens m’arrêtent dans la rue, ils me parlent surtout des vidéos passées durant le confinement, tournées dans nos jardins. La communauté du Jardin Extraordinaire s’est alors créée. Le monde du vivant n’a pas de frontières. Le plus beau compliment qu’on puisse me faire est que l’on donne autant d’importance à une mésange près de chez nous qu’à une girafe en Afrique.

Vous présidez également le célèbre Festival Nature Namur. Est-ce pour sensibiliser à l’urgence climatique et environnementale, tout comme votre émission ?

Ma mission, s’il en est, s’exprime naturellement. Par contre, je ne suis pas un être d’urgence, ma compréhension du règne animal participe davantage de l’émerveillement. Cette compréhension nous aidera justement à mieux vivre. L’urgence n’est pas toujours bonne conseillère, elle est présente et il y a des solutions à trouver, mais le respect de la nature n’a pas besoin d’urgence ou de menace pour s’imposer.

Tanguy Dumortier sur le site de l’Abbaye de Villers-la-Ville, là où se tient l’exposition « Notre Jardin Extraordinaire »

Famille

Vous arrivez à combiner vos déplacements professionnels et votre condition de papa ?

Il est vrai que j’ai un métier et une passion très prenants, mais j’ai aussi envie d’avoir une vie de famille avec mes deux filles. Depuis qu’elles sont nées, elles sont habituées au fait que je suis en voyage la moitié du temps. Je pense qu’elles l’acceptent bien, mais ce n’est pas aussi facile que je le pensais, je n’étais pas préparé à ce que notre monde soit aussi normé par rapport à un travail se déroulant principalement en journée et la semaine. Autant j’ai pu trouver un équilibre qui leur convient comme à moi, autant j’ai du mal à mener une vie sociale classique. Tel est mon choix et le prix à payer pour vivre mon rêve. Un planning se prévoit un an à l’avance et dépend des bonnes saisons, des bons endroits, des bons contacts et surtout des espèces. Je ne tourne pas pendant les vacances scolaires, ce qui me permet de profiter de mes enfants et de ne pas affronter les touristes qui se déplacent durant ces périodes. Mes filles comprennent très bien le but de mes absences, je leur raconte ce que je fais, je leur ramène des images, elles sont mes premières spectatrices.

La famille et la paternité ont-elles changé votre regard sur la façon de réaliser ?

Indéniablement, notre vie change et nous prenons des décisions nouvelles. Comme celle d’arrêter de me rendre dans des endroits trop dangereux. Je fais aussi attention à ma façon d’écrire lors de mes documentaires et de mes émissions. Me rendre compte que mes filles n’ont pas compris un sujet serait une défaite, j’essaye de toucher et d’intéresser un public de 7 à 97 ans.

Personnalité

Souvent souriant, avez-vous pris votre carte de membre au Clan des optimistes ?

C’est carrément un choix ! Voilà une prise de judo qu’on devrait nous apprendre à tous. Il m’est arrivé plein de fois, dans le passé, de trouver ma vie pas terrible alors qu’elle était juste géniale. On peut choisir d’être optimiste, au risque de passer pour un naïf. Si on se laisse aller sur la pente descendante, on rencontre des gens dans le même esprit. Nous vivons tout de même dans un pays qui nous accorde pas mal de droits et de privilèges. Et je ne minimise pas, loin de là, les difficultés que tout un chacun peut rencontrer dans sa vie. J’en ai vu des endroits où les gens n’ont accès ni à l’eau, ni aux soins de santé, ni à la justice ou à l’éducation.

Quel serait votre voyage le plus marquant ?

Je viens d’enchaîner trois voyages hallucinants au début de l’année. La Namibie est un des pays les plus secs et arides du monde comprenant le plus grand désert de la planète et des animaux adaptés à la sécheresse. Le Guatemala propose un tout autre univers où le vert domine avec sa forêt tropicale, les colibris si passionnants à filmer, les singes-araignées, et de l’eau partout. Et ensuite l’Antarctique, un grand choc visuel et émotionnel, un espace sans êtres humains, mais peuplé d’animaux. Heureusement toujours préservé, pour le moment.

Tanguy Dumortier sur le site de l’Abbaye de Villers-la-Ville, là où se tient l’exposition « Notre Jardin Extraordinaire »

Transmission

Qu’est-ce qui vous anime le plus ?

La curiosité, transmise par mes parents. Se montrer curieux pousse à en connaître davantage, et donc à respecter. Mais la curiosité peut être très fatigante, on n’a pas assez d’une vie pour s’intéresser à fond à un seul sujet. Mes parents n’étaient pas des grands connaisseurs de la nature, par contre j’ai choisi de me focaliser sur cette thématique. D’où le manque de temps pour m’intéresser davantage à l’art et aux livres, notamment. Cependant, je suis sûr que le monde animal et sauvage continuera à me fasciner toute ma vie.

Le présent est-il plus important que l’avenir ?

Le présent m’importe beaucoup, j’essaye de me dégager du passé pour ne pas traîner certaines périodes sombres comme un boulet, mais je pense que le présent s’ancre dans le futur. Ne fut-ce qu’en termes de planning qui me projette jusqu’en 2025.

Le grand voyageur que vous êtes a-t-il besoin d’un cocon où se retrouver ?

Comme je suis indépendant, je peux aussi travailler de chez moi. J’apprécie d’avoir mon foyer, au sens premier du terme, de me tenir près du feu dans la cheminée, de m’arrêter, de profiter, de regarder le jardin. Mes voyages sont magnifiques, mais souvent durs, j’aime aussi rentrer chez moi, me retrouver, profiter de mes proches et reposer mon corps.

Pensez-vous qu’il est plus facile et évident de rétablir le rapport de l’homme à la nature que le rapport entre humains ?

Le rapport de l’homme à la nature n’est plus aussi évident, hélas. Et en particulier celui qui nous lie à l’animal sauvage. On se l’est longtemps accaparé pour notre bien. Or, ceux qui peignaient dans les grottes de Lascaux étaient déjà des peintres-naturalistes et pas seulement des chasseurs. Aujourd’hui, nous n’avons plus à tuer les animaux sauvages pour survivre. Le désir de renouer avec la faune sauvage existe, il suffit de voir les gens s’émerveiller devant un faucon pèlerin nichant en pleine ville, mais on ne sait plus comment. L’humain est ultradominant. Par une émission, ou cette exposition « Notre Jardin Extraordinaire », les gens deviennent plus conscientisés, notamment depuis le Covid, et renouent avec l’importance du sauvage dans leur vie et leur quotidien.

Si vous deviez citer un joli moment de votre vie ?

Rien que notre conversation me réjouit. La vie est pleine de jolis moments et mon métier me procure des instants incroyables. J’ai survolé en montgolfière les plus vieilles dunes du monde en Namibie, au lever du soleil, avec des gens passionnants. Et à mon retour j’ai fêté les 10 ans de ma fille. En ce moment c’est vrai, je suis heureux et j’enchaîne les moments d’exception.

Tanguy Dumortier sur le site de l’Abbaye de Villers-la-Ville, là où se tient l’exposition « Notre Jardin Extraordinaire »

Texte : Gilda Benjamin - Photo : Jan Crab

Source: Fednot