Archives : retour sur le témoignage de la 1ère femme notaire en Belgique. C'était en 1955 !

8 mars 2025

Odette De Wynter, première femme nommée notaire en Belgique (en 1955).

C’est en 1955 qu’une femme était nommée notaire pour la première fois : Me Odette De Wynter, à Auderghem.

Dans cet article, elle raconte ses aventures et ses expériences au cours de ses premières années professionnelles. C'est surtout son entrée dans le monde notarial qui a posé beaucoup de problèmes. Grâce à l'aide et aux bons conseils de certains collègues, elle a pu surmonter facilement certains obstacles.

« Jusqu'en en 1940, à part les avocats, les docteurs en médecine, les enseignants, les professions exercées par les femmes étaient presque toutes des professions subalternes.

Le mouvement féministe jusque-là est très revendicatif mais n'est pas très écouté. C'est pendant la guerre 1940-1945 que les femmes se sont montrées très actives dans tous les domaines aussi bien dans les pays libres que dans les pays occupés. Les mentalités ont évolué lentement.

Après la deuxième guerre mondiale toutes les professions jusque-là réservées à la gent masculine exclusivement se voient prises d'assaut par la nouvelle tendance de l'égalité entre homme et femme.

Toutefois pour certaines professions comme la magistrature et Ie notariat, il fallait modifier la loi.

Rappelons que si les femmes votent aux élections communales depuis longtemps, ce n'est qu'à cette époque qu'elles ont pu voter aux élections législatives, et être élues au Parlement.

Après la magistrature, Ie notariat en 1950 est accessible aux femmes. Ce ne sera toutefois que Ie 20 juin 1955 qu'il a plu à sa Majesté Ie Roi, sur proposition du ministre de la Justice, Monsieur Lilar, de nommer la première femme notaire.

Une fois nommée dans cette profession dotée de nombreuses traditions, heureusement codifiées, se sont posés de nombreux petits problèmes.

Le secrétaire de la chambre de discipline Me Van Halteren me reçoit pour guider mes premiers pas avant la prestation de serment et l'immatriculation à la chambre. Première question : " Il est de tradition de se mettre en jaquette pour prêter serment. Comment allez-vous faire ?"
Réponse : "Ne pas mettre de jaquette !"

Au Palais de Justice, ou par un mois de juillet torride j'avais mis un tailleur noir et un chapeau, je suis accueillie par Ie Président de notre chambre, Me Robert Cornelis, qui revenait d'Afrique ou il avait mené son club de football d'Anderlecht vers de grandes victoires. Me voyant toute de noir vêtue s'excuse d'être en costume d'été clair ...

Prestation de serment entre les mains du Président du Tribunal.

Le premier pas est fait.

(L'histoire du chapeau est importante parce que quelques années plus tard une autre femme n'en avait pas mis et Ie Président du Tribunal en a été horrifié ! (La mode et nos mœurs ont heureusement bien changé).

A l'immatriculation à la chambre, à cette époque Ie notaire se présentait seul.

J'étais tellement impressionnée que j'ai Ie souvenir d'avoir été mise à une toute petite table devant un aréopage énorme très haut placé en cercle autour de moi. A la fin des discours, Ie président Cornelis m'a offert un énorme bouquet de fleurs. Ceci m'a fort ému - lui aussi. C'était une première tradition que l'on modifiait en mon honneur et très agréablement.

Ensuite ont été évoqués tous les petits problèmes possibles, et pour tous à mon avis, il y avait lieu d'essayer de simplifier et d'adapter.

Le nom : Comment se faire appeler ? Notaire ? Notairesse ? Ce dernier mot d'abord me semblait fort laid, ensuite c'est Ie nom officiel de la femme du notaire, j'ai donc proposé de ne pas féminiser Ie mot.

Certains anciens collaborateurs tellement habitués à appeler leur patron "Monsieur Ie notaire" continuent même à Ie dire en me voyant à Ie dire et tout récemment, une jeune collaboratrice d'un de nos confrères s'est aussi adressée à moi de telle façon, en s'excusant ensuite. Cela me semble d'un comique achevé, parce que cela démontre un seul automatisme sans que Ie vocable n'ait aucun contenu.

Odette De Wynter, première femme nommée notaire en Belgique (en 1955).

Les traditions : Certains confrères galants imaginaient de se rendre chez moi alors que l'acte devait se passer chez eux. Il fut décidé que nos traditions existaient et étaient codifiées, par conséquent, il n'y avait pas lieu d'y déroger et c'est très bien ainsi et combien aisé.

Après ma nomination, comme Ie veut la tradition, j'ai fait certaines visites protocolaires. En général, j'ai été fort bien accueillie mais un de nos confrères des plus anciens m'a fait une réflexion qui m'a laissée bouche bée :" Dans Ie temps, les filles dont on ne savait que faire, on les envoyait au couvent, mais qu'allons-nous faire de nos fils, si les filles deviennent notaires ... ?"

Me Cartuyvels, de Braives, membre du bureau de notre Fédération et qui avait connu mon père m'a spécialement téléphoné pour me faire venir à mes premières Journées Notariales. C'était à Huy.

Mon patron, chez qui j'ai eu Ie bonheur de faire tout mon stage, Me Charles Moureaux, a guidé non seulement mes premiers pas dans Ie notariat mais n'a cessé de me donner des conseils très judicieux pendant de nombreuses années.

L'étude avait été créée, il y avait donc lieu de trouver un local ; il fut décidé que ce serait une grande artère. Quant à la plaque, m'a dit Me Moureaux, pas question d'y mettre votre prénom, votre initiale suffit : une fois entré, Ie client ne ressortira pas en vous voyant...

L'accueil du délégué aux Assurances du Notariat rassurant : "Ne croyez pas que vous allez gagner votre vie, les clients ne viendront pas. Achetez vous de la laine et des aiguilles pour faire du tricot et un jeu de carte pour faire des réussites. Toutefois, ne prenez pas de risques, assurez-vous".
Sur ces paroles réconfortantes, je souscrivis une assurance, mais comme je n'avais pas du tout de personnel, je n'ai jamais terminé mon tricot, si ce n'est beaucoup plus tard pendant des vacances.

De ce temps-là, Ie mercredi après-midi, il y avait grande réunion au Palais de Justice : les comparutions à divorce et les testaments.

Me Cornelis, toujours lui, m'a invitée à être son notaire en second pour me présenter aux confrères. C'était une attention charmante et mes premiers honoraires. Nous avons tous, je crois, la nostalgie de ces mercredis ou nous passions deux heures à bavarder, de tout et de rien et des affaires que nous pouvions régler.

Souvent, au début, des conversations s'interrompaient à mon arrivée. Il y avait à cette époque des spécialistes en blagues "salées" qui ne voulaient pas me heurter. Je les mis à l'aise en expliquant que de toute manière, je ne comprenais jamais. Ils m'ont crue et adoptée : je ne les gênais plus. Il n'était pas toujours facile de ne pas rire ...

A cette époque, Ie notariat n'avait pas encore pour règle générale que les actes se réalisent à deux notaires. L'on m'a dit de me tenir sur mes gardes. Jamais je n'ai eu à Ie faire. Tous semblaient très heureux de m'accueillir et l'ont toujours fait avec une très grande gentillesse.

Cette gentillesse et cette courtoisie durent toujours heureusement et sont une des caractéristiques de notre profession.

La meilleure conclusion à tirer est de signaler que personne ne connaît exactement Ie nombre de femmes notaires en Belgique et que d'autre part, elles n'ont jamais cherché à se réunir en une association féminine.

Comme dans toutes les professions, il y a ceux qui sont heureux et fiers de l'être, et les autres, qui passent... »

Source: Fednot